N’est pas poète qui veut…

N’est pas poète qui veut…

Préface

Malek Houd

Poète et enseignant, Malek Houd a reçu plusieurs distinctions lors des différents festivals et concours de poésie organisés à travers le territoire national, grâce à son talent, à son abnégation à sa culture, grâce aussi à son verbe incisif que le monde de la culture lui reconnaît. Il s’impose sur la scène poétique amazigh depuis plus de vingt longues années. En effet, ses premiers poèmes remontent à la fin des années 1970 dans des circonstances difficiles. C’est très tôt qu’il découvre sa vocation de poète qu’il ne lâchera plus depuis ou plutôt qui ne veut plus le lâcher. La poésie est sa seconde nature, son être, sa vie.

Très connu du public, la poésie toujours en bandoulière, Malek s’impose partout où la poésie se manifeste : radios, rencontres culturelles, presse etc. Il a d’ailleurs publié un premier recueil de poésie, Asirem yessaramen[1] et un conte : Adrar aberkan[2], il aussi traduit le long poème de Smail Ait Djafar: Tizlit tuḥzint n yimattaren n Lqasba d Yasmina tamecṭuḥt yenɣa baba-s3 (Complainte des mendiants arabes de la Casbah et de la petite Yasmina tuée par son père). C’est pour dire qu’il a toujours le verbe facile et l’inspiration à portée de main. Quoi de plus naturel pour celui qui a tété Taqbaylit aux sources et la porte dans ses veines, dans ses tripes ?

Sur la lignée des grands aèdes…

 

La poésie de Malek allie à la fois l’esthétique et l’utile, la spécificité et l’universalité étant donné que le poète s’inscrit résolument dans la lignée des grands aèdes (Si Mohand, Mohend U Yahya auxquels il a d’ailleurs rendu un vibrant hommage dans ce présent recueil, Ccix Mohand, Mohand Said Amlikech…) que cette terre a vu naître mais aussi adhère à son temps en épousant les grandes idées contemporaines. Malek est et demeure un maillon important de la grande chaîne de transmission de la langue des ancêtres à travers sa poésie, laquelle poésie est justement un élément important, voire indissociable de la culture des ancêtres. C’est la première caractéristique que j’ai décelée à travers ce recueil.

A chaque période de l’histoire, de notre histoire tourmentée, elle se manifeste pour jouer des rôles déterminants : elle est tantôt un moyen d’expression et de fixation des événements marquants (guerres, maladies, invasions diverses…), tantôt comme une arme contre les agressions multiformes externes. Pour celle de Malek, je dirai qu’elle constitue, au-delà de l’aspect intrinsèque indéniablement original, un témoignage poignant d’une période trouble, difficile et critique pour la langue des ancêtres. N’a-t-il pas payé cher son engagement sans faille pour cette cause en se faisant exclure sans ménagement du lycée où il enseignait en 1980 pour le simple fait qu’il est poète? Un déni identitaire criard qui le marquera à jamais. Cette douleur, cette injustice faite à l’auteur et à sa patrie constituent, en partie, dans ce présent recueil où nous trouvons des mots forts, des images expressives, des métaphores douloureuses qui traduisent en fait un profond pessimisme, la partie visible de l’iceberg. Une lecture rapide des poèmes le confirmera. Le titre du recueil est lui-même très significatif : Tilelli ur telli. Une négation exclusive qui s’apparente à une certitude : Tilleli werğin telli ! Les poèmes qui suivent vont dans le sens de la confirmation de cette assertion :

 

Ssirdet neɣ qqimet a yaman                                 

Ilefḍan uɣen ddunit                                                         Eau, tu deviens inutile

La crasse s’est définitivement emparée de l’univers

 

Pour dire que le mal et la perversion qui règnent en ce bas monde. Dans son élan de désespoir justifié, le poète assimile toute tentative contraire à une perte de temps et d’énergie. C’est dire combien le traumatisme qu’il a vécu (et travers lui tous ceux qui sont épris de justice et de liberté) est profond!

 

Sur la sphère royale de l’universalité…

 

 La conception précise qu’il en fait de la liberté est profondément sincère, authentique et son engagement est sans faille. Ce qui le propulse sur la sphère royale de l’universalité, en sus des thèmes universels. C’est le deuxième grand constat que j’ai relevé ici.

A travers la lecture de ce recueil, Malek attribue à son art poétique une fonction et un rôle spécifiques qui ne sont pas forcément ceux des autres peuples ou d’autres périodes. Les vicissitudes de la vie lui imposent des contours précis. Ses préoccupations sont celles de tout un peuple, de tous les peuples privés de la liberté de parole et de la liberté tout court. Lui (et les autres à travers sa poésie) ne cesse de revendiquer les droits les plus élémentaires. De ce point de vue, il est incontestablement le porte-parole des… sans voix :

 

Tilelli ad d-tesreḥ i umzur

Ad nwali amek i tga ṣṣifa-s

Tkuffer ddaw ugennur       

G wulawen ad nsent timas           

Ara yerɣen d azeqqur        

 

 La liberté finira par se manifester

Et nous savourerons sont goût

Elle a trop longtemps été opprimée

Dans cœurs s’éteindront les haines

 Ne se consumeront que les souches

 

 

Il y va de la survie de chacun. Le droit à l’existence est un droit élémentaire inaliénable. Sur ce point précis, Malek s’inscrit aussi dans une dynamique universelle et progressiste irréversible :

Wid yettnadin ɣef tugdudt

 Ifassen-nsen d ilmawen

Lezzayer yellan d taqrurt   

Tuɣal d tamɣart iburen.                  

 

Les défenseurs de la démocratie                          

Sont totalement démunis

 L’Algérie aux allures d’une jeune fille épanouie

Devient une vieille femme stérile

 

Mais hélas ! Ce droit est loin d’être acquis pour tous. Des menaces réelles surgissent çà et là pour mettre en péril cette humble existence fragile. L’homme, dans son élan destructeur et dans son inconscience aveugle, se livre à des actions autodestructrices aux effets néfastes irréversibles sur les libertés et le patrimoine humains. Le poète pleure l’Eden perdu, regrette que son pays soit réduit à une proie, un gibier, entre des mains ravageuses :

 

 

D aseddrem kan ur bennun

Qelεen tudert f yiẓuran

Deg lekreh g wakal teẓẓun

Yemɣi yefka-d asennan

           

Ils ne font que détruire

Et s’acharnent à déraciner toute forme de vie

Ils sèment haine et discorde

Et récoltent des fruits épineux

 

Le pronom « il » renvoie évidemment (on l’aura compris) aux semeurs de la mort, aux chasseurs de lumière, aux prédateurs de tout acabit et aux imposteurs qui ont mis ce pays à feu et à sang.

 

Mlet-iyi d acu n wazal

I d-iɣellin γef yiγid               

Tudert-is tga akk d lmal     

Taggara gan-t d ayeddid                                       

Dites-moi quel sens                       

A la vie d’un chevreau                  

Qui vit reclus dans un troupeau               

Au bout du compte sa peau sert de loutre

 

C’est une fin aussi tragique que pathétique qui serait réservée à un peuple sans défense et avec lui sa culture et son histoire sans un sursaut salutaire de ses enfants et une prise de conscience de tout un chacun. Heureusement, le poète n’exprime ici qu’une hypothétique vision prophétique dans son élan imaginaire qui traduit, on ne peut plus, son attachement viscéral à ses racines, à son pays, à sa langue.

En plus de son rôle de défenseur, au sens presque militaire et militant de son authenticité, de son originalité, le poète tient particulièrement à rendre hommage à sa ville natale, berceau de ses rêves et de sa jeunesse :

 

 

Deg (yi)durar-is i d-luleɣ    

Axxam-iw deg-s i d-yezga            

Deg (yi)zenqan-is i urareɣ

                      

Je suis né sur ses hautes montagnes

 Ma demeure s’y trouve

Combien je me suis amusé dans les ruelles (de ma ville)

Yid-s temẓi-w i tɛedda

Tazmalt d taddart i ḥemmleɣ 

Ɛinani mačči s tuffra

                                      

Nous avons grandi ensemble

Tazmalt est mon village natal tant aimé

Je le revendique fièrement.

 

C’est normal, voire même naturel que le poète s’inspire d’abord de la réalité de son monde, du monde extérieur ou de la vie intérieure, soit pour les chanter ou s’en plaindre.

 « C’est une façon personnelle, originelle mais efficace de communier directement avec la nature, de l’amadouer parfois, d’en atténuer ses effets souvent, de la sublimer la plupart du temps : la nature est son modèle par excellence, son guide, sa vérité qui est la vérité tout court ! En composant, il écoute son cœur, son âme, les multiples chants de la nature et de la vie… Il puise directement sa matière de l’immédiat, des faits vécus, des vicissitudes de la vie la plus banale, de la vie quotidienne…

 Le poète est par définition celui qui sait éveiller en nous et en lui surtout, l’enfance endormie en chaque être pour reprendre Jean El Mouhoub Amrouche! Il sait la bercer, lui chuchoter des mots qui prennent subitement des sens doux et différents de ceux de tous les jours. Grâce à la magie des mots, il fait naître un sentiment poétique en le faisant surgir dans l’insolite, en mettant à l’index les écarts, en soulignant la rupture d’avec la routine et les conventions… De ce fait, il fait naître des vocations nouvelles, aiguise les sens et révèle une autre facette de sa personnalité : il devient celui «qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. »[3], pour paraphraser un d’entre ces célèbres poètes du siècle dernier. Ainsi donc, sous ce monde d’apparence réelle, palpable où tout se réduit à des mesures, à des normes, le poète essaye d’y échapper en inventant un monde idéal ou rêvé qui se montre plus resplendissant, moins cruel, moins dur, plus supportable même s’il n’est pas toujours évident aux yeux du réalisme rigoureux des hommes forgés à l’image de leur vision réductrice, calqués sur l’exactitude et l’utilité immédiate de la chose !»[4] 

 Bravo Malek, écris nous encore des poèmes de ce genre, nous en avons tant besoin !

 

Djamal Arezki, le 05 mars 2008.

[1] EditionsBaɣdadi…. année 2004……

[2] EditionsBaɣdadi…. année 2004

3Editions Tira…..année 2009

[3] Paul Eluard.

[4]Jean Amrouche, Chants berbères de Kabyli, 4e édition (édition bilingue), Paris, L’Harmattan, préface de Mouloud Mammeri, textes réunis, transcrits et annotés par Tassadit Yacine, 1989.

préface

Arezki Djamal